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Jeûne et perte de masse musculaire


Barbara Philipps - 26/02/2025 - 0 comments

NON, JEUNER NE FAIT PAS FONDRE LES MUSCLES !

Du mythe de la perte musculaire induite par le jeûne

Si pour la plupart, une « cure de jeûne » rime avec perte de poids, réinitialisation métabolique, détox ou plus grande clarté mentale, elle n’est pas non plus sans susciter certaines réticences. À titre d’exemple, un mythe largement répandu, selon lequel le jeûne serait dangereux, l’organisme décomposant les protéines stockées dans les muscles pour produire de l’énergie. Et si le corps s’avérait plus malin ?

Les humains comme les animaux sauvages sont dotés d’un programme génétique qui leur permet de s’adapter aux périodes de jeûne. Les oiseaux migrateurs, par exemple, peuvent voler sur de très longues distances, sans s’alimenter. Les baleines traversent les océans en jeûnant, pour atteindre leurs zones de reproduction tropicales, tandis que les ours ou les hérissons parviennent à hiberner six mois durant, sans jamais se nourrir entretemps. Se pose du coup une question légitime : toutes ces espèces animales parviendraient-elles à survivre et à se développer dans la nature si un jeûne prolongé nuisait effectivement à leur musculature ?

Pour comprendre comment la musculature humaine s’adapte au jeûne longue durée, nous avons mené une étude, en exploitant les toutes dernières techniques de pointe, en matière de recherche scientifique. En voici les résultats.

La santé musculaire lors d’un jeûne longue durée : un processus naturel

Même si nos décennies d’observations cliniques ont montré que les muscles de nos patientes et patients ne fondaient pas pendant leurs jeûnes, et que l’activité physique était tout à fait compatible avec leurs séjours en clinique, nous prenons au sérieux les inquiétudes concernant la perte de masse musculaire. D’où notre décision de mener nos propres études scientifiques. Pour notre première étude, publiée en 2021, nous avons collaboré avec l’une des équipes du C.N.R.S. (organisme français de renommée internationale, œuvrant au service de la recherche scientifique), qui s’intéresse notamment aux capacités d’adaptation de notre corps à l’espace. Dans la perspective de longues missions spatiales, il est en effet essentiel de comprendre comment la musculature humaine se modifie pendant les périodes de jeûne. Ce projet nous a permis d’étudier l’influence du jeûne sur le maintien et la régénération de la musculature, et, partant de là, de tirer des conclusions pertinentes non seulement sur la préservation de la santé sur terre, mais aussi sur les défis d’un séjour dans l’espace.

Au nombre des découvertes les plus renversantes figure la stabilisation manifeste de la fonction musculaire, voire de sa légère amélioration, pendant les interventions de jeûne. Déterminée via la quantité d’azote évacuée par le corps, la dégradation des protéines dans les muscles n’a cessé de ralentir en cours de jeûne, l’organisme ayant alors activé des systèmes qui protégeaient justement les protéines contre ledit processus. Ergo, les performances musculaires ont été maintenues pendant le jeûne. Après la reprise alimentaire, le taux d’une protéine, appelée myostatine, a fortement diminué, de sorte que la musculature a pu être reconstruite avec une plus grande efficacité, ce qui laisse penser que l’organisme humain dispose, lui aussi, de mécanismes d’adaptation naturels, lesquels maintiennent sa masse musculaire entre des périodes cycliques de repas et de jeûne.

En fait, cette étude ne constituait pour nous qu’une première approche. En partant de ces résultats, nous avons alors lancé notre étude GENESIS, dans le dessein d’explorer plus en détail la relation entre le jeûne et la santé musculaire. En collaboration avec la Dre Magalie Viallon et le professeur Pierre Croisille, un éminent duo français au service de la recherche, nous avons mis en œuvre des techniques d’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour étudier les effets du jeûne sur le fonctionnement des muscles, la force musculaire et la santé cellulaire.

Résultats en bref de l’étude GENESIS sur la santé musculaire

  • Étude : jeûne de 12 jours, 250 kcal/jour
  • Perte de poids : 5,9 kg pour une perte musculaire minime, réversible dès la reprise alimentaire
  • Pas de modifications structurelles ou inflammatoires des muscles
  • Stabilité, voire légère amélioration de la force musculaire
  • Maintien de la capacité maximale d’oxygène pendant l’entraînement (VO2max)
  • Amélioration de l’efficacité respiratoire en cours d’entraînement, indiquant par là un épuisement moindre
  • Stabilité de la fonction mitochondriale
  • Stabilité du niveau de récupération après l’entraînement
  • En résumé, la musculature s’est adaptée à un jeûne prolongé

L’étude GENESIS : plongée dans les coulisses de Buchinger Wilhelmi

Le caractère révolutionnaire de cette étude vient du fait qu’elle a exploité des techniques de l’IRM pour réaliser des « biopsies virtuelles » de la musculature, en vue d’évaluer certes les réactions des muscles au jeûne, mais aussi celles d’autres organes du corps humain.

Autre point remarquable, l’étude GENESIS fit littéralement exploser le cadre scientifique, en offrant aux 32 sujets, qui ont étroitement travaillé avec nous durant plusieurs semaines, l’opportunité d’une aventure humaine qui les a tous profondément transformés.

Illustration : Exemple de parcours de la structure musculaire de la jambe par IRM chez un sujet de l’étude GENESIS.

Imaginez un peu que vous vous lanciez dans une expédition scientifique, fusionnant collecte de données, amitié et connaissance de soi. Eh bien, c’est exactement ce qu’ont vécu toutes les personnes qui ont pris part à notre étude sur le jeûne ! Cette aventure a nécessité de leur part beaucoup d’engagement : elles durent à plusieurs reprises se rendre en France, au laboratoire du professeur Croisille, pour effectuer les mesures avancées par IRM, et furent astreintes à suivre un programme d’examens rigoureux (scanners IRM, examens cliniques et mesures de leur condition physique), lequel s’est étalé sur quatre longs week-ends (avant le début du jeûne, à la fin du jeûne, un mois après la reprise alimentaire et quatre mois plus tard).

De ce qui, d’emblée, pourrait ressembler à un cauchemar logistique est né quelque chose pour le moins exceptionnel : loin de considérer le programme d’étude comme une corvée, les sujets l’ont plutôt perçu comme une fabuleuse aventure communautaire. Tout en riant en chœur et en se soutenant mutuellement, ils ont développé au sein de leur groupe un tel esprit de cohésion que même des tâches quotidiennes quelque peu rébarbatives, dont notamment le transport des flacons d’urine, étaient prises avec humour et vécues comme des expériences fédératrices.

L’étude prévoyait également un séjour de deux semaines à la clinique Buchinger Wilhelmi d’Überlingen. Une fois sur place, les sujets se plongèrent dans un vaste programme holistique. Ils commençaient leur journée par une séance de gymnastique vivifiante, puis partaient l’après-midi randonner tranquillement aux alentours. Des méditations guidées sous la direction de la Dre Wilhelmi de Toledo leur firent vivre d’intenses moments d’introspection et de clarté mentale, tandis que les soirées, émaillées de discussions animées, leur permirent de partager leurs découvertes ou leurs difficultés, tout en célébrant à l’unisson chacune de leurs petites victoires individuelles.

Au terme de l’expérience de jeûne, cette entreprise scientifique commune s’était muée en quelque chose de très personnel, voire intime, pour avoir été le théâtre de moments émouvants où tout le monde avait été amené à réfléchir aux changements que cette aventure apportait à sa vision de la vie et de la santé. Ce qui avait débuté comme une « simple » étude clinique s’était métamorphosé en une expédition inoubliable de découverte de soi, de résilience et de solidarité : une preuve tangible du pouvoir de la science à inspirer et à changer la vie !

Du rôle de la santé musculaire dans la longévité

Loin d’être une simple question d’esthétique ou de performance sportive, la santé musculaire s’avère fondamentale pour la longévité et la qualité de vie. Jouant un rôle crucial dans la santé métabolique, le tissu musculaire est essentiel à la mobilité, à l’équilibre et à la résistance aux maladies. La sarcopénie, soit la diminution de la masse et de la fonction musculaires, liée à l’âge, est associée à la fragilité, aux chutes et à des maladies chroniques, comme le diabète ou les maladies cardiovasculaires.

Le maintien ou l’amélioration de la fonction musculaire étant essentiels pour vieillir dans la dignité et conserver son indépendance, il est vital de comprendre l’impact du jeûne sur la santé musculaire. Le jeûne pourrait-il contribuer à une vie plus longue, plus heureuse et plus saine, en favorisant la résistance des muscles ? Toujours en suspens, cette question pourrait nous ouvrir la voie vers de nouvelles études scientifiques qui permettraient de mettre au point un programme d’entraînement adapté à l’expérience du jeûne.

À quel moment un corps, qui jeûne, se met-il à consommer des protéines ?

Une précision s’impose en amont : la métabolisation des protéines pendant le jeûne n’est pas synonyme de dégradation musculaire. Le corps dispose d’une capacité remarquable à satisfaire ses besoins énergétiques, tout en s’adaptant au changement de situation et en protégeant les tissus qui lui sont essentiels. Voici une représentation simplifiée des modifications du métabolisme énergétique pendant le jeûne :

Aussitôt le repas terminé

Après un repas, le corps utilise immédiatement le glucose (sucre) de la nourriture qui vient d’être consommée comme principale source d’énergie. Au bout de 4 à 8 heures, une fois la nourriture entièrement digérée, il passe à la métabolisation du glycogène, une forme de glucose stockée dans le foie et les muscles. Ce processus lui fournit suffisamment d’énergie pour couvrir à court terme ses besoins quotidiens en glucose.

Transition vers la gluconéogenèse

Ses réserves en glycogène étant limitées, l’organisme commence à produire du glucose dans le cadre d’un processus appelé gluconéogenèse. Des éléments, tels que le lactate (issu de l’activité musculaire), le glycérol (issu des graisses) ou les acides aminés (issus des protéines) sont alors transformés en glucose. Bien qu’à ce stade, le corps a effectivement aussi recours à une quantité minime de protéines pour la gluconéogenèse, le tissu musculaire est à peine concerné.

Recyclage des protéines par autophagie

C’est à ce moment que la capacité d’adaptation du corps entre en jeu : au lieu de dégrader les muscles, l’organisme recycle en priorité les protéines provenant d’autres sources, dans le cadre de ce que l’on appelle l’autophagie. L’autophagie est en quelque sorte un programme de nettoyage endogène, au cours duquel les protéines endommagées ou superflues, présentes notamment dans le foie ou le tissu conjonctif, sont décomposées et réutilisées. De cette manière, le corps parvient à couvrir ses besoins en énergie et en matériaux de construction, tout en préservant sa musculature. Des recherches ont montré que l’autophagie allait jusqu’à transformer des protéines structurelles, par exemple dans la matrice extracellulaire (le fameux « squelette » des cellules), afin que le corps puisse fonctionner efficacement, même en jeûnant.

Passage aux graisses comme carburant principal

Dès le troisième jour de jeûne, les graisses deviennent la source d’énergie prédominante. Le foie mobilise les réserves de graisse, puis les décompose en glycérol (utilisé pour la production de glucose) et en acides gras, qui sont ensuite transformés en corps cétoniques. Les cétones sont une excellente source d’énergie pour le cerveau et d’autres tissus. Ainsi, les besoins en glucose sont réduits et les réserves de protéines continuent d’être préservées.

Équilibre métabolique

Après plusieurs semaines de jeûne, le corps atteint un état d’équilibre. Durant cette phase, les besoins quotidiens en glucose tombent à environ 80 grammes, provenant de composés recyclés (comme le lactate ou le pyruvate), de glycérol (issu de la dégradation des graisses) et d’une petite quantité de protéines. Ce qui importe, c’est que les protéines métabolisées sont issues de sources non musculaires, lesquelles sont protégées.

À la clé…

De façon à protéger les muscles et à privilégier d’autres réserves de protéines, le jeûne déclenche la capacité d’adaptation naturelle de l’organisme. Contrairement à une conception erronée, largement répandue, l’utilisation de protéines par le corps pendant le jeûne n’entraîne pas de perte musculaire, loin s’en faut : l’organisme exploite un système de recyclage sophistiqué, aux fins de maintenir des fonctions vitales et de préserver les muscles. Efficace, cette stratégie lui permet de poursuivre un jeûne prolongé dans de bonnes conditions et de répondre à ses besoins énergétiques, tout en conservant son capital musculaire.

Jeûne intermittent et fonte musculaire

Si la popularité du jeûne intermittent (ou IF pour Intermittent Fasting) ne cesse de croître du fait de ses avantages potentiels en termes de contrôle du poids, le risque de voir fondre ses muscles en cours de jeûne est souvent évoqué, en particulier par les personnes cherchant justement à renforcer leur capital musculaire. Selon les résultats de la recherche, le jeûne intermittent (pratiqué correctement, s’entend !) n’entraîne pas nécessairement la fonte des muscles et favorise même le maintien de la masse maigre dans certaines conditions. Quand il jeûne, le corps commence par puiser dans ses réserves de glycogène pour produire de l’énergie. C’est ce qui ressort d’une revue approfondie sur les effets du jeûne intermittent, qui résume les résultats de toutes les études cliniques disponibles à ce jour, pour en retenir que le jeûne intermittent se révèle efficace pour réduire la masse grasse et augmenter la masse maigre (soit la masse musculaire). Partant de là, le jeûne intermittent s’avère un moyen performant d’améliorer sa constitution physique, dans la mesure où il permet de réduire le poids corporel et la graisse, tout en préservant la masse musculaire.

Par ailleurs, le choix du moment et la composition des repas jouent entre autres un rôle clé dans le jeûne intermittent. Un apport suffisant en protéines dans la plage horaire réservée à la prise de nourriture favorise la réparation et la croissance des muscles, à plus forte raison quand on veut augmenter la masse musculaire. Pour stimuler la synthèse des protéines musculaires, l’entraînement en résistance favorise le maintien de la masse maigre, même avec une réduction de la fréquence des repas.

Présentation de l’étude GENESIS dans un documentaire d’ARTE

Les enjeux de ces travaux de recherche ne sont pas passés inaperçus. Récemment, l’étude GENESIS fut présentée dans un documentaire de Sylvie Gilman et Thierry De Lestrade, diffusé sur ARTE : « Le jeûne, enquête sur un phénomène ». Il s’agit du second volet de leur film unanimement plébiscité dès sa sortie, en 2012 : « Le Jeûne, une nouvelle thérapie ? ». Le présent documentaire accompagne le Français Stéphane tout au long d’un programme de jeûne de 21 jours, chez Buchinger Wilhelmi, et suit pas à pas l’amélioration de sa santé.

Stéphane est arrivé à la clinique Buchinger Wilhelmi avec une stéatose hépatique non alcoolique, une obésité et un syndrome métabolique. Un fibroscan confirma une forte accumulation de graisse dans son foie (CAP 307 dB/m). À la fin du programme, son taux de graisse hépatique s’était normalisé (CAP 242 dB/m), et plus aucun signe de fibrose n’a pu être détecté, un remarquable revirement de situation, étayé par les avantages bien documentés du jeûne en cas de stéatose hépatique.

Stéphane participa également au programme d’exercice de notre clinique qui lui fut, selon ses dires, fort bénéfique : « L’activité physique (marche, gymnastique, natation) était parfaitement compatible avec le jeûne ; je n’ai ressenti aucune faiblesse musculaire. Au contraire, j’éprouvais un besoin naturel de dépenser ce surplus d’énergie ».

Tout en soulignant l’intérêt croissant pour le jeûne comme mesure holistique promotrice de santé, le documentaire propulse la clinique Buchinger Wilhelmi à l’avant-garde de la recherche sur le jeûne. Et, entre nous, quelle captivante initiation pour les personnes curieuses de comprendre l’impact du jeûne sur la santé musculaire !

➥ Vers la documentation

Stéphane pendant le visionnage du documentaire

Entretien avec le Dr Robin Mesnage

« Si en arrivant pour la première fois à la clinique,
une partie de la patientèle parvient à peine à gravir
la côte sans s’arrêter au moins trois fois,
ces mêmes personnes s’y lancent à l’assaut en fin
de séjour avec aisance et légèreté.
Nos observations cliniques indiquent depuis
longtemps que les performances musculaires peuvent être améliorées. »

Françoise Wilhelmi de Toledo

Pourquoi est-il important de protéger la santé de vos muscles

Mais qu’est-ce que tout cela signifie pour vous, personnellement ? Peu importe que vous pratiquiez du sport à haut niveau, que vous souhaitiez prendre soin de votre santé ou que la question du bien-vieillir focalise votre attention, la santé de vos muscles doit être et rester une priorité majeure. Intégrer le jeûne (sous supervision professionnelle) dans votre mode de vie pourrait s’avérer une stratégie payante pour préserver la fonction musculaire et améliorer votre santé globalement.

Afin de soutenir la santé de vos muscles pendant le jeûne, suivez les conseils suivants :

  • Continuer à mener une vie active : pratiquer une activité physique légère, voire modérée, pendant le jeûne, préserve la force musculaire.
  • Se concentrer sur la phase de réalimentation solide : après le jeûne, il est capital de bien s’alimenter. Pour favoriser la récupération musculaire, la consommation d’aliments riches en protéines et de repas nutritifs est vivement recommandée.
  • Se faire conseiller : de manière à bien adapter le jeûne à ses propres besoins et conditions, la consultation d’un médecin s’avère incontournable.

Et après ?

En fait, l’étude GENESIS ne donne qu’un léger avant-goût des multiples investigations en cours : sur la base de données de mieux en mieux étayées, nous préparons actuellement une vaste publication scientifique qui promet de nouvelles avancées surprenantes sur la relation entre le jeûne et la santé musculaire.

Ne perdez pas le fil et suivez-nous. Mais entretemps réfléchissez aussi au rôle que le jeûne pourrait jouer pour votre santé, à plus forte raison en nous sachant, nous et toute l’équipe Buchinger Wilhelmi, toujours à vos côtés pour vous épauler dans cette démarche. Bref, qu’attendons-nous pour conjuguer nos efforts et redéfinir notre perspective sur la santé musculaire et la longévité !

La publication de GENESIS peut être citée comme :

Naegel A, Viallon V, Ratiney H, Nguyen T, Leporq B, Kennouche D, Grenier T,  Grundler F, Mesnage R, Guy JM, Wilhelmi de Toledo F and Croisille P. Impact of prolonged fasting on skeletal muscle: delving into the relationship between structure, energy metabolism, and function using 31P/1H MRS and MRI. In Press in Journal of Cachexia, Sarcopenia and Muscle. DOI: 10.1002/jcsm.13773