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Mario Vargas Llosa « Jeûner c’est un plaisir »


Steffanie Hornstein - 25/02/2019 - 0 comments

Discours du lauréat du prix Nobel de litérature et patient Buchinger de longue date Mario Vargas Llosa à l’occasion du 1er “Metromeeting” en Madrid (Espagne).

« Cher Amis,

Depuis plus de vingt ans, nous allons à la clinique Buchinger tous les ans. Au départ, c’est une amie qui m’en avait parlé. J’avoue qu’à l’époque, j’avais seulement une vague idée de ce que pouvait être le jeûne, et je pensais que j’allais avoir du mal à me passer de manger. Nous sommes restés deux semaines, et ce fut une expérience extraordinaire. Bien sûr, nous avons perdu quelques kilos chacun, ce qui ne nous a pas fait de mal, mais c’est loin d’être le bénéfice essentiel de la cure.

Le jeûne a des répercussions étonnantes sur nos vies, et ce, à plus d’un titre. Il nous permet avant tout de découvrir notre propre corps. De nos jours, nous autres humains sommes plongés en permanence dans un état d’agitation intense, avec nos tensions, nos angoisses et nos peurs, à tel point que nous n’accordons plus aucune attention à notre corps, pourtant si précieux. Personnellement, ce que j’ai découvert à Marbella, c’est que oui, j’ai un corps, qu’il a de la valeur et qu’il mérite que j’apprenne à le connaître et à en prendre soin. C’est de ce corps, ni plus ni moins, que dépend notre bonheur au quotidien. C’est l’un des enseignements fondamentaux de la clinique Buchinger.

J’arrive toujours à la clinique Buchinger épuisé, car sortant d’une longue période où j’ai enchaîné quantité de voyages et missions professionnelles, le tout accompagné du fléau du XXIe siècle, j’ai nommé le stress. Dès que je passe le seuil de la clinique, il se produit un basculement psychologique, que nombre d’entre vous ont sans doute déjà ressenti : je lâche prise. J’ai la sensation que le temps s’arrête, qu’il n’a plus robot en pilote automatique. Je ralentis, me détends, mes gestes se font plus fluides… Bref, je redeviens… humain. C’est comme si, notre organisme intégrant un espace de paix profonde, il nous était beaucoup plus facile de faire la part des choses entre ce qui, dans la vie, est essentiel, et ce qui ne l’est pas. Je pense que le jeûne est également propice à la méditation, à l’introspection, au positionnement. Cette expérience, certes, exigeante, nous permet de repérer là, où nous faisons fausse route, et de rectifier le tir. C’est une leçon qui, à mon avis, reste ancrée en nous longtemps encore après la période de jeûne.

La clinique est un monde à part, à mille lieues de notre quotidien et de son lot de contraintes épuisantes. À la clinique, bien que l’emploi du temps soit bien rempli, on se repose. L’importance de l’exercice physique, ça aussi, c’est une leçon. C’est si important pour notre organisme d’avoir tous les jours sa dose de promenade, de gymnastique, de natation et de massages ! On se sent si bien à la fin de la journée quand on a respecté le planning des activités !

Et que le sommeil est réparateur après tout cela ! Lorsqu’on jeûne, on vit des phénomènes particuliers. Je ne sais pas si tous les patients ont connu et apprécié celui-ci autant que moi : le sommeil étant très léger, on a souvent l’impression d’être éveillé, or ce n’est pas le cas. On est au repos. On se repose dans une forme de veille, qui permet de prendre du recul avec les images produites par le mental, ou qui lui sont suggérées, des images surprenantes, d’une grande richesse esthétique et spirituelle. On entre dans un état que les membres de communautés religieuses pourraient qualifier de « transe mystique » et les non-initiés, d’« état de conscience très clair, avec une forte créativité ». Je crois que l’on découvre quelque chose dont l’origine est aux tréfonds de chaque image perçue dans ce demi-sommeil, typique des nuits de ceux qui pratiquent le jeûne.

J’ai noué de profondes amitiés à la clinique. Les personnes avec qui je partage des expériences merveilleuses dans le cadre de la clinique – détente, libération, paix – comptent parmi celles que j’aime le plus au monde. C’est pourquoi nous revenons tous les ans. Je crois pouvoir dire, sans exagérer, qu’à chaque fois que nous quittons la clinique, nous sommes plus jeunes, plus minces, plus optimistes et pleins d’entrain pour vivre l’expérience du retour, retour au siècle, au monde, au quotidien, avec son lot de soucis, de déceptions. Ça m’aide de me rappeler que là-bas, à Marbella, il y a cette maison où nous retournerons tôt ou tard et où nous retrouverons notre optimisme et notre paix intérieure, si difficile à atteindre. C’est pourquoi je dis que la clinique Buchinger a changé ma vie, et l’a considérablement enrichie, et qu’elle est devenue mon arme suprême contre le découragement.

Et il y a encore une chose que Buchinger m’a transmise, c’est la valeur et la saveur de la nourriture, et l’immense satisfaction que le fait de manger procure après s’en être privé temporairement. Je ne connais aucun lieu où l’on échange des recettes aussi originales et des conseils culinaires aussi utiles. Je pense que la clinique nous invite à transformer les repas en véritables processus de création, en oeuvres d’art ! La clinique et le jeûne nous apprennent combien il est important, délicieux et bon de bien manger : avec intelligence, mesure et l’intention de faire de chaque repas un instant de plaisir. Et c’est sur « plaisir », mot formidable, que je vais conclure. Quiconque ne l’a pas encore vécu nous rirait au nez, mais nous qui en avons fait l’expérience ici, à la clinique Buchinger, le savons bien : jeûner est un plaisir ! »